L'Eden tunisien : l'Ile de Djerba

Contenu

Titre
L'Eden tunisien : l'Ile de Djerba
Créateur
Huillier, Louis
Date
1939-03-16
Dans
Le Petit Haut-Marnais
Résumé
Le voyage triomphal du Président du Conseil français, M. Daladier, et les incidents provocateurs italiens, ont remis en honneur la Tunisie, trop peu connue, encore aujourd'hui, avec ses foules musulmanes, ses richesses naturelles, ses plages et ses déserts captivants, ses villes commerçantes, et ses vestiges romains.
Les environs de Tunis constituent dejà un paradis disposé autour du Golfe, avec des cités féeriques, comme Cidi-Bou-Saïd ou La Marsa, séjour estival des Beys. La Goulette était destinée à une influence française, puisque Saint-Vincent de Paul, venu délivrer les prisonniers européens, fut gardé dans un cachot. Aujourd’hui, elle est devenue le
plus important centre d’aviation maritime, tandis que Bizerte, par sa position stratégique, reste un chef-d’oeuvre de patiente conquête des hommes sur le lac et la mer. Une longue page d’histoire symbolise les ruines de Carthage.
Voici plus loin, Kairouan, la Sainte ; El-Djem et son Colisée, plus majestueux que celui de Rome ; vers le Sud, Sfax, Sousse et Gabès, riches de leurs oliviers et des gisements de phosphates.
Plus bas encore, voici Tozeur et le mirage du Chott-el-Djerid, non loin de l’oasis de Nefta, avec ses 200.000 palmiers irrigués par l’eau de 200 sources. Plusieurs forment une rivière traversée par les mulets, et illustrée par la photographie. On y rencontre la dévideuse
de laine, la lavandière, l’enfant en haillons, l’Arabe en quête d’ablutions et le chameau qui absorbe périodiquement les 150 litres d’eau. A la tombée du jour, quels ravissants couchers de soleil à travers la palmeraie prodigue de légumes, primeurs, jasmins, grenadiers, caroubiers, figuiers, abricotiers géants, raisins liquoreux, palmiers aux lourds régimes de dattes muscades, bananiers aux petits fruits savoureux !...
C’est vraiment le repos du voyageur, l’asile de paix où tout bruit est amorti, plus encore qu’à Gabès, où circulent de nombreuses estafettes. Tozeur avoisine l’Algérie ; Gabès monte la garde sur les confins de la Tripolitaine. La France a porté, avec la civilisation des méthodes nouvelles, un Droit précis, une Législation spéciale et des débouchés commerciaux qui donnent à ce pays, avec la prospérité, la paix des villages, naguère chargés de haines et trop souvent meurtris par des luttes sans fin.
Les régiments sont échelonnés à proximité des lignes de défense ; des tirailleurs sont installés crânement à Mareth, défenseurs obstinés d’un inextrlcable réseau de barbelés, de fortins et ouvrages qui font songer, à juste raison, à notre ligne Maginot.
Mieux encore ! Les demeures troglodytes de Matmata et de Médenine sont autant de repaires imprenables, où git cependant tout un monde mi-gitane, mi-berbère. Tout le bled qui va de Gabès à la Tripolitaine est caractérisé par cette architecture en voûte qui rappelle un peu les villages nègres que nos soldats édifiaient pendant la guerre. Les rhorfas de Médenine sont justement célèbres, car elles sont étagées de manière à servir de grenier et d’abris, d’autant plus sûrs, pour y accéder, une échelle car on n’a ménagé d’escalier ni à l’intérieur, ni à l’extérieur.
Médenine apparaît alors comme une ville curieuse et un centre économique,
Autant que comme un avant-poste fort bien défendu.
Deux routes, ou plutôt de larges pisles mènent, l’une à Tataouine, l’autre à Ben-Gardanne, parcourues par des caravanes qui se dirigent vers le désert incertain.
Parfois surgit un Poste, comme celui de BordJ-Le Boeuf, d’émouvante mémoire. Le 15 septembre 1916, le Colonel Le Boeuf, chef d’Etat-Major à Tunis, et le lieutenant de Chatenay, partaient en avion, pour observer les confins tripolitains. Egarés dans le désert, ils
étaient contraints d’atterrir. C’est seulement en janvier 1918, qu’on trouva le cadavre du Colonel, et un an plus tard, celui du lieutenant, à une dizaine de kilomètres des débris de leur avion. Les malheureux étaient morts de soif, après avoir tenté de poursuivre leur route.
Cette zone militaire des Territoires du Sud, brûlante l’été, offre parfois un horizon limité, par des Monts Tunisiens, sortes de tables de géants posées sans méthode, mais le plus souvent, c’est le bled, toujours le bled !...
Aussi, le touriste, lassé des immensités, est-il surpris d’apercevoir après une centaine de kilomètres, une ligne lointaine qui bleuit ; c’est la mer ! Des flots, une île verte naît, se précise, : c’est Djerba, l’Eden tunisien, qui a suscité, dès l’antiquité, la cupidité des humains.
Les plus magnifiques conquérants romains. En outre, les Juifs, persécutés s’y fixèrent, et encore aujourd’hui, le foulèrent son sol, en particulier, les Roculte d’Israël est célébré dans la synagogue de Hara-Srlra, qui passe pour être l’une des plus célèbres du monde. Avec les Juifs, vécurent en bonne intelligence, les Berbères, actifs et industrieux, jusqu’au moment où déferlèrent les Arabes, constructeurs de mosquées.
Bientôt, deux civilisations s’affrontèrent. En effet, les Espagnols s’implantèrent, narguant les Turcs qui repoussèrent les premiers, par les armes. L’islam avait vaincu les successeurs de
Charles-Quint. Longtemps on vit sur la côte, une tour haute de 10 mètres où étaient encastrés les cadavres de 10.000 Espagnols. Elle fut démolie par les Français qui, ici, comme ailleurs, ont relevé l’honneur de la civilisation.
Quittant l’aride bled, le touriste se trouve subitement transporté sur une terre fertile où croit une végétation luxuriante, entretenue par l’humidité de 200 puits ou citernes. Malheureusement, en 1938, l’indigène n’avait pas vu la pluie depuis 4 ans, dit-on, et, malgré
tout, ce n’était pas la disette. A peine était plus discret le bariolage des bougainvilliers et des géraniums. Ici, mêmes palmes et oliviers, mêmes chameaux et bourriquots nostalgiques, mêmes mosquées. Ne dit-on pas que Djerba, île hospitalière, a compté plus de 120 indigènes millionnaires ?
Les principales ressources des habitants sont : la fabrication des poteries et la pêche des éponges.
C’est près de Houmt-Souk, centre de l’ile, que réside Messaoud El Ghoul, le plus célèbre artisan tunisien. Fils lui-même de potier, il continua grossièrement le métier acquis, jusqu'au jour où, la France ayant remarqué ses dons particuliers, l’envoya en stage à l’Ecole nationale de Céramique de Sèvres, en 1931. Rentré chez lui, il préféra travailler
seul, et confectionna, dans le style arabe, avec cette argile particulière à Djerba, vases, urnes, lampes, amphores, faïences qui lui valent aujourd’hui, des commandes de touristes ou de personnalités de la Résidence. Il garde d’ailleurs le secret des couleurs, tels les Phéniciens.
Les murs de sa demeure sont faits de fragments de vases, ce qui donne un aspect amusant. Messaoud a construit lui-même son four. D’autres potiers ont suivi son exemple, créant ainsi une industrie particulière. Rien n’est plus évocateur que les allées et venues de porteuses d’amphores Djerbiennes, que l’on dit les plus jolies Musulmanes !
Quant à la pêche des éponges, elle a lieu principalement dans le Golfe de Gabès, à Zarzis, et surtout Djerba. Elle est pratiquée par des marins maltais, siciliens et surtout, des Grecs.
Les indigènes « cueillent » très souvent les éponges sans engin. Ils marchent dans les fonds sous-marins, avec de l’eau jusqu’à la ceinture, en tâtant le sol avec leurs pieds. Quand ils rencontrent une éponge, ils l’arrachent adroitement avec leurs orteils, et la lancent à la surface de l’eau, où ils la saisissent.
Pour la pêche au trident, on emploie des barque montées par deux marins seulement. L’un rame et dirige la barque pendant que l'autre, armé, arrache les éponges. Cette pêche ne se pratique que par fonds de 20 à 50 mètres.
Par le même procédé, et pour les besoins alimentaires, le pêcheur s’empare souvent d’un de ces fameux poissons appelé « mérou ». La grande espèce peut atteindre 1 m. 50, et peser 20 kg. ; Il est de nature vorace. Sa prise offre des dangers, puisque le plongeur est parfois obligé de se jeter à l’eau, muni du crochet avec lequel il harponne le mérou ; après une lutte passionnée, le poisson est hissé à bord.
On use aussi de la pêche au miroir, constitué par un cylindre en fer blanc muni d’une vitre transparente et de deux anses. Dans les parages de Djerba, L’agitation de la mer étant superficielle, il suffit de plonger le miroir dans la mer, de quelques cms, pour apercevoir
Les éponges et les cueillir. Cependant, La plus fructueuse pêche est celle au scaphandre qui permet de choisir la qualité. Le Grec est passionné de cette pratique.
Notons enfin un procédé plus rudimentaire : on immerge des poteries munies de poches qui les entourent. Dans ces poches, on introduit un fragment d’éponge vivante, et on immerge
le tout. Au bout de 1, 2 ou 3 ans, on les retire. Les éponges ont poussé comme des végétaux. Il suffit alors de les couper et de replacer les poteries dans l’eau, bien sagement et d’attendre.
Le soir tombe bien vite sur cette terre saharienne et maritime, à la fois, et se hâte d’aborder la plate-forme du fort espagnol, pour contempler, d’un côté le paysage fait de douceur et de simplicité, de l’autre, la Méditerranée, mer française et latine qui baigne Carthage, Alger, Oran, Marseille et Toulon.
En résumé, la Tunisie nous offre des merveilles que nul autre pays ne peut nous présenter. Ulysse connut la douceur des plages, et leur trouva un tel charme qu’il ne voulait plus les quitter.
La France, qui contribua de tout son amour, à l’essor de la Tunisie, en plaçant ses habitants sous son intelligente tutelle, saurait défendre cette Terre d’Afrique, contre toute prétention, avec l’aide unanime des Tunisiens.
Place
Chaumont
Langue
fre
numéro d’édition
64
pages
5

Huillier, Louis, “L'Eden tunisien : l'Ile de Djerba”, 1939-03-16, bibliographie, consulté le 7 septembre 2024, https://ibadica.org/s/bibliographie/item/15317

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