Tisser dans le désert : interactions et adaptations autour d’un ouvroir missionnaire au Mzab (1892-1950)

Contenu

Titre
Tisser dans le désert : interactions et adaptations autour d’un ouvroir missionnaire au Mzab (1892-1950)
Créateur
Joyeux, Mélina
Sujet
Missionnaires -- Mzab
Résumé
À travers une étude de cas centrée sur le poste de Ghardaïa, chef-lieu du Mzab, cet article étudie les recompositions de la mission d’une congrégation catholique féminine, les Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique – plus connues sous le nom de Sœurs blanches –, au cours de six décennies au contact du terrain. Les réactions suscitées par l’action missionnaire dans les différentes composantes de la population locale imposent des adaptations successives et un investissement dans la durée face aux maigres résultats obtenus. Il en découle une chronologie différenciée par rapport à d’autres régions comme la Kabylie et un surinvestissement des activités artisanales autour de l’ouvroir, point d’entrée pour nouer progressivement des interactions. À la fois centre de formation technique et de production artisanale, cette œuvre particulière permet aux religieuses de travailler auprès des filles et des femmes, cibles principales de la mission. L’ouvroir apparaît ainsi comme un « monde du contact », dans lequel religieuses et femmes du Mzab s’engagent inégalement et avec des objectifs différents, redéfinis tout au long de la relation. Cette action missionnaire est analysée à travers les archives centrales de la congrégation (diaires et chroniques, rapports annuels, correspondance, photographies), largement inédites, et celles des missionnaires d’Afrique ou Pères blancs, l’ordre masculin auquel elle est liée. Croisées avec des archives de l’administration coloniale et la littérature ethnographique, les sources missionnaires conduisent à interroger la façon dont les sœurs perçoivent et interprètent ces interactions, tout en cherchant à déceler des indices du rapport des populations locales à la mission. Dans une première partie, la mission est replacée dans son environnement social, politique et religieux, des raisons qui poussent les pères missionnaires et les autorités coloniales à faire appel aux Sœurs blanches jusqu’au profil des religieuses qui s’installent dans une société coloniale particulière sans avoir reçu de formation spécifique. Malgré le soutien des autorités coloniales, leur première approche des populations locales est marquée par la méconnaissance et la confrontation. L’action missionnaire se concentre alors sur les groupes minoritaires, ce qui rend rapidement caduque la stratégie apostolique initiale. Au tournant du xxe siècle, la mission est réorganisée pour placer l’ouvroir au cœur des œuvres. Le propos se concentre alors sur le rôle du tissage dans la stratégie missionnaire et sur la façon dont les religieuses érigent l’ouvroir en un véritable centre d’artisanat colonial. Les sœurs investissent ainsi une activité féminine quotidienne pour la fondre dans des cadres nouveaux, en lien avec le développement d’une économie impériale et les politiques coloniales de promotion des « arts indigènes ». Elles s’approprient des savoir-faire vernaculaires et réorientent les productions vers le marché touristique. S’adressant d’abord aux plus pauvres, l’ouvroir revêt aussi une dimension sociale, à travers l’enjeu de la rémunération féminine. L’article souligne alors toutes les ambiguïtés d’une œuvre d’assistance par le travail, confrontée à d’incessants arbitrages entre ses différentes finalités et ses divers publics. La dernière partie s’attarde justement sur les limites de ces stratégies d’adaptation et sur les écueils de l’action missionnaire. De l’échec à constituer une communauté chrétienne aux multiples impasses rencontrées pour atteindre les femmes ibadites ou pour développer l’instruction scolaire, les sœurs n’ont de cesse de réinventer leurs œuvres pour tenter de les pérenniser. Abordant la société du Mzab par ses marges, elles participent à la perturbation et à la recomposition des relations entre les différentes communautés, bouleversées par la rupture des équilibres politiques, économiques et sociaux induite par la colonisation. Si elles ne parviennent pas aux résultats escomptés, elles acquièrent progressivement une certaine familiarité avec les filles et les femmes du Mzab. Ces tâtonnements révèlent en outre des formes de résistance à la mission et mettent en lumière les capacités d’action des Mozabites face à la domination coloniale.
Est une partie de
L’Année du Maghreb
numéro
31
Date
2024
Langue
fre
doi
10.4000/11x49
issn
1952-8108
Titre abrégé
Tisser dans le désert
Source
journals.openedition.org
Droits
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/

Joyeux, Mélina, “Tisser dans le désert : interactions et adaptations autour d’un ouvroir missionnaire au Mzab (1892-1950)”, 2024, bibliographie, consulté le 18 octobre 2024, https://ibadica.org/s/bibliographie/item/24822

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